La médiation familiale, un espace de rencontre qui apaise, redonne la parole, la place et le pouvoir d’agir
« La médiation s'appuie sur le principe d'autonomie qui fait une place à chacun et recherche, par une décision partagée, à faire que chacun ait sa place » nous précise Monique Sassier (présidente à l'origine de la création de la Fondation AUTONOMIA et aujourd'hui président d'honneur) au cœur d’un des 6 programmes de la Fondation.

Voici déjà quelques décennies que ce formidable outil qui a pour vocation à développer une culture du compromis, de l’alliance, de la négociation avec l’accord des personnes (acte volontaire), permet l’avancée de situations (familiales, sociales, professionnelles…) qui semblaient verrouillées et sans issues. Si la médiation ne prétend pas à de grandes décisions et à des transformations formidables ou extrêmement visibles dans les situations, elle offre toutefois un espace de rencontre privilégié, protégé, apaisant. Un espace dans lequel les parties prenantes ont l’opportunité de libérer leurs paroles, d’exprimer des non-dits, de reprendre leurs places et leurs pouvoirs d’agir. La médiation permet aussi de restaurer pas à pas la confiance abîmée dans le cadre de conflits, de mieux percevoir l’autre dans sa différence pour changer son regard, et renouer par la rencontre.
La Fondation AUTONOMIA est convaincue que la médiation familiale dans les contextes de perte d’autonomie ou de vulnérabilité est un processus particulièrement précieux qui permet d’écouter la parole des personnes concernées (bénéficiaires). Car pour préserver la meilleure autonomie possible des personnes vulnérables (en situation de handicap, de dépendance ou concernées par toutes formes d’addiction), il est essentiel de leur (re)donner parole et place.Au travers de 3 cas concrets, la Fondation AUTONOMIA vous propose d’en savoir plus sur la médiation, de mieux comprendre ses spécificités, ses atouts, ses bénéfices et ses limites.
La rédaction de cet article a été piloté par la Fondation Autonomia en partenariat étroit avec le Centre de la Famille et de la Médiation ainsi qu’Impulsion 54. Il tire des enseignements concrets issus de leurs pratiques respectives et du soutien apporté par la Fondation à ces 2 structures dans le cadre de son programme dédié à la médiation familiale, levier précieux au service de l’autonomie.
Développer la médiation, mais mieux l’encadrer !
Le développement de la médiation doit être favorisé, mais en même temps encadré, afin que ses grands principes soient respectés : un choix volontaire, un règlement des conflits dans la limite de ce qu’elle peut faire et dans la limite de ce qu’elle ne peut pas faire. Un cadre qui pose des limites, avec des limites respectées, semble en effet indispensable, à l’heure où la médiation dans toutes ses formes (familiale, professionnelle…) tend à se développer de plus en plus.
« À date, la médiation n’est pas encadrée par la loi ou par un principe. Il y a un accord des professionnels sur son développement et son utilité. Il y a un accord des juridictions ou des grandes entreprises sur le recours à la médiation, mais il est temps de lui donner une place qui se définit à la fois parce qu’elle est, mais aussi parce qu’elle ne l’est pas », précise Monique Sassier.
C’est la tâche que s’est donnée le Conseil national de la médiation(fondé à la demande d’Éric Dupond-Moretti, ancien ministre de la Justice), qui réunit depuis 2023 une trentaine de professionnels (médiateurs de tous types et secteurs, avocats, notaires…) avec comme ambition : définir de façon commune et partagée ce qu’est la médiation et poser un cadre juridique et fonctionnel. Le CNM a en effet engagé un travail important et essentiel sur le développement de la médiation (toutes les médiations) dans tous les secteurs, qui repose sur la connaissance actuelle des uns et des autres de la médiation, de son utilité et de la place de plus en plus grande qu’elle prend dans la vie des professionnels. Un travail qui se terminera fin 2025 avec un rapport agrémenté de préconisations, que les pouvoirs publics pourront saisir et prendre en compte.
3 cas pratiques pour mieux comprendre la médiation, ses possibilités, limites et bienfaits !
Le programme « La Médiation familiale – L’alliée de l’autonomie » est l’un des 6 programmes phares de la Fondation AUTONOMIA depuis sa restructuration en 2021. Un programme qui a vu le jour sous l’impulsion de Monique Sassier, qui a longtemps œuvré professionnellement dans ce domaine. Quelle meilleure façon pour mieux comprendre ce qu’est la médiation et en saisir les avantages, les différentes formes qu’elle peut prendre, que de vous partager la synthèse de 3 cas pratiques, menés par 3 structures impliquées au cœur de contextes et de situations différentes. Chacun propose d’explorer combien la rencontre dans un espace apaisé et préparépeut participer à faire avancer des situations conflictuelles complexes et sources d’anxiété.
1. Médiation familiale avec une personne concernée par une addiction
Contexte :séparation d’un couple. Le conjoint est en situation d’addiction et de fragilité. Une ex-épouse bienveillante envers lui mais souhaitant protéger et sécuriser leurs enfants. Dans le cadre d’une demande de séparation de la part de l’épouse (mère), les parents de l’époux (personne en situation d’addiction) requièrent une médiation avec leur belle-fille. Leur objectif : Accompagner la séparation de leur fils et l’aider à gérer les enfants. Leur belle-fille travaillant : être un soutien pour elle et les enfants.
Difficultés : l’époux est très fragile (en difficulté avec son addiction et la séparation). Ses parents très inquiets sollicitent à sa place une médiation avec leur belle-fille. Une communication absente entre les membres de cette famille. Tout est mis en place pour le préserver, sans l’intégrer aux décisions.
Proposition de la médiatrice lors d’entretiens préparatoires: organiser plusieurs médiations au sein de la famille. 2 médiations sont proposées : une médiation séparation-divorce entre les ex-époux pour organiser leur séparation et une médiation familiale autour la personne vulnérable entre ses parents et leur ex-belle-fille.
Résultats et bénéfices d’une médiation parents et belle-fille : Verbalisation de ce qui n’a jamais été dit : culpabilité d’avoir donné une place d’aidant à leur belle fille et de la même façon, culpabilité de la belle fille de redonner une place d’aidant à ses beaux-parents. Chacun a pu parler de l’époux (hors de sa présence) de ses propres difficultés, de ses besoins, comment l’accompagner, de comment lui redonner une place. Une prise de conscience des parents du ressenti de leur belle-fille et inversement s’est opérée, de laisser leur fils et belle fille gérer eux-mêmes leur divorce. Une médiation entre l’épouse et le fils a pu ensuite avoir lieu pour tenter de trouver leurs solutions par rapport aux enfants.
Résultats et bénéfices de médiation parallèles : Après ces deux médiations, une troisième entre les parents et leurs fils s’est déroulée, le tout échelonné sur six mois. Petit à petit, par étapes, un dialogue constructif a pu reprendre . Des mots ont été mis sur la place de chacun. Les non-dits ont été verbalisés. La famille s’est ouverte à de l’aide extérieure, en acceptant d’être accompagnée par un tiers. Les uns et les autres ont pu prendre la mesure des pensées, des ressentis, des besoins de chacun, et de leurs propres difficultés, afin d’évoluer dans leur position, de prendre leur place et finalement de changer leur regard sur la personne vulnérable. Le pouvoir d’agir a été redonné à l’époux et fils, qui a pu prendre conscience de sa fragilité et combien cette addiction pouvait impacter ses enfants. Cela lui a permis d’accepter de voir ses enfants en présence de ses parents et d’entamer une démarche de soins.
2. Médiation entre une famille et un établissement d’accueil de personnes en situation de handicap
Contexte : des parents en grande difficulté de communication avec les professionnels de l’établissement qui accueillent en semaine leur enfant (jeune adulte en situation de handicap). N’ayant plus la capacité d’échanger et de communiquer directement avec la famille (ressentis d’envahissement de l’établissement par la famille insécurisée), les représentants de l’établissement souhaitent une médiation avec un tiers extérieur. La jeune femme vulnérable accueillie en semaine dans l’établissement (internat) rentre le week-end chez ses parents. Objectif de la médiation : restaurer et apaiser la communicationet les relations entre la famille et les professionnels.
Difficultés : la jeune personne en situation de handicap non-oralisante, communique avec des outils spécifiques. Elle exprime ainsi ses ressentis liés aux tensions entre l’établissement et sa famille principalement à travers son comportement et des attitudes.
Proposition de la médiatrice, multiplier les entretiens préparatoires en amont : avant de créer la rencontre entre les professionnels et la famille, plusieurs une étapes intermédiaires sont organisées. D’une part entre les professionnels eux-mêmes (directeurs, coordinateurs, éducateurs, aides médico-psychologiques, tous les professionnels au contact direct avec la jeune femme au quotidien). Objectif : amener plus de clarté sur ce qui se joue réellement en interne et qui dépend de l’organisation des professionnels entre eux. Nommer l’impacts des demandes incessantes et envahissantes de la famille via de multiples canaux et auprès de différents membres du personnel terrain. D’autre part avec les parents : plusieurs entretiens préparatoires afin de clarifier les sujets à aborder et les demandes à formuler. Au total, 8 rencontres préparatoires en amont se sont déroulées sur 4 mois : dont 4 avec les parents. L’inscription sur un temps long nécessite de maintenir le lien avec les personnes en vue de les faire se rencontrer.
Résultats et bénéfices d’une médiation famille-professionnels : La personne vulnérable n’a pas participé directement aux échanges entre la famille et les professionnels. Cependant elle a pu en amont être informée des échanges entre la famille et les professionnels et être sensibilisée à l’intérêt et aux enjeux autour, dans le cadre de cette médiation. La Famille et les professionnels se sont mis d’accord, les temps de passage entre les séjours dans l’établissement et dans la famille se sont pacifiés. Pour la personne en situation de handicap, le lien entre la vie en famille et dans l’établissement s’est amélioré. De l’apaisement, de la clarté, de la fluidité dans les possibilités et de la compréhension réciproque.
3. Médiation entre une personne âgée et fragilisée et ses filles
Contexte : deux sœurs qui ne se parlent plus depuis 3 ans et dont les résidences sont distantes de 80 km. Une mère avec une maladie cognitive dans un CMP (centre médico-psychologique) non loin d’une des sœurs qui s’en occupe régulièrement (l’autre a du mal à trouver sa place). L’infirmière du centre, lassée de cette situation en tension, propose aux filles qu’elles se rencontrent en médiation. Objectif : rétablir la communicationentre les deux sœurs afin que les questions de l’organisation des soins à domicile, de la mise ou non sous curatelle, de la mise en place de l’aide personnalisée à l’autonomie, etc. (en réponse à l’entrée en dépendance plus importante de la mère) puissent être abordées.
Difficultés: la mère a le sentiment de ne pas ou peu avoir de place, elle se plaint d’être dépossédée sur plusieurs plans. Les sœurs n’arrivent plus à communiquer dans le calme.
Proposition de la médiatrice, organiser plusieurs rencontres: une rencontre entre les 2 sœurs permet de lever une série de malentendus à l’origine de leur rupture de communication. Une rencontre entre la mère et ses filles se déroule ensuite avec plus de calme.
Résultats et bénéfices de cette médiation familiale : Le fait de redonner la parole à la mère a permis de lever ces désaccords et lui a redonné sa place de décideur. Des prises de conscience ont émergé, car les non-dits ont été levés, de la clarté a été apportée et a remplacé les suppositions antérieures. Une clarification de la situation pour chacune des parties prenantes a apaisé les tensions. Les points de vue se sont enrichis des ressentis et du regard des autres(comprendre la différence de l’autre).
En synthèse, les bienfaits et les bénéfices de la médiation sont multiples
Grâce à ces trois exemples de médiations, on saisit mieux l’importance de ces espaces de rencontre et de dialoguepour apporter plus de clarté, apaiser certains conflits, mieux comprendre ce qui se joue dans les situations et mieux comprendre les personnes au cœur de ces situations.
4 grands bénéfices de la médiation familiale sont à retenir
- Le soutien Réunir une famille qui accompagne une personne vulnérable, permet un soutien réciproque au cœur d’un contexte difficile. Selon les contextes et les enjeux, les décisions à prendre peuvent être lourdes de responsabilité, d’engagements, et donc anxiogènes. Cet espace neutre permet de ressentir plus d’empathie à l’égard de l’autre, d’être davantage en connexion avec la sensibilité de chacun. La médiation offre un cadre, un temps, un espace où la famille peut se retrouver et où chacun peut se sentir moins seul face aux décisions à prendre.
- L’apaisement La médiation permet de déposer un peu tout ce qu’on a en soi, ce qui contribue à apaiser les personnes. Même si les solutions ne sont pas trouvées au terme de la médiation, un apaisement s’est opéré et permet de continuer à avancer sans augmenter le conflit. Quelle que soit l’issue, le chemin se fait plus serein, avec plus d’humanité, de douceur, de compréhension, pour aboutir à une future solution.
- Redonner une place On observe dans les situations de vulnérabilités (addiction, handicap, vieillissement, dépendance qui arrive…) que les proches agissent bien souvent à la place de la personne vulnérable. Avec la médiation, la place et dignité sont redonnées à la personne vulnérable. La médiation permet en effet aux autres de prendre conscience qu’elle a encore la capacité d’agir, de penser, d’écouter. Même si elle ne parle pas, la personne se recentre sur elle, sur son bien-être.
- Reconstruire, pas à pas, la confiance Percevoir que l’autre, différent de soi, agit bien souvent selon son propre prisme, tout autant que soi dans l’intérêt de la personne vulnérable et pas contre elle ou soi, permet d’ouvrir son esprit, de changer son regard et de retrouver un lien de confianceavec plus de calme et de tolérance.
3 freins potentiels pour la bonne marche d’une médiation
- La volonté de garder le pouvoir Avec un refus de lâcher, de collaborer avec les autres. C’est souvent un système de défense qui émerge dans une situation où la personne ne se sent pas bien, où elle a eu du mal à trouver sa place et craint de lâcher, de faire confiance, de partager.
- Rester camper sur sa positionAvec une incapacité à envisager un autre point de vue. Ces personnes font souvent comme elles le peuvent avec leurs propres constructions émotionnelles et psychiques qui ne leur permettent pas d’entrer dans un dialogue constructif. Une posture qui peut bloquer des situations, car le principe de la médiation encore une fois, est que chacun arrive, pas à pas, à mieux prendre en compte un autre point de vue et la réalité de l’autre.
- Le manque d’équilibre Notamment dans une situation où la famille n’est pas suffisamment protectrice de la personne vulnérable, car nous constatons aussi parfois que toutes les familles ne sont pas forcément (consciemment ou inconsciemment) bien traitantes.
En conclusion…
Il est important de souligner que si la médiation familiale est un formidable outil, comme nous l’avons évoqué, elle n’est pas le seul et parfois d’autres sont nécessaires pour aller plus loin et déverrouiller des tensions, ou des situations complexes (accompagnements par d’autres professionnels).
La médiation, qui peut prendre de multiples visages (familiale, avec des institutionnels), est un maillon au milieu de légion d’autres outils d’aide et d’accompagnement.
Quant aux médiateurs, ce sont des passeurs de parole dont le rôle est de rester neutres et discrets au cœur d’un espace tiers. Leur mission ne consiste pas à prodiguer des conseils ou des avis, mais bien à être des facilitateurs de parole, des organisateurs de rencontres !
Cet article a pu être nourri grâce aux apports de Françoise Duchâteau et Caroline Bonte, médiatrices au sein du Centre de la Famille et de la Médiation, ainsi que d’ Isabelle Perrot, médiatrice familiale au sein d’Impulsion 54. Trois professionnelles engagées dont les partages d’expérience – ancrés dans leur pratique de terrain – permettent de mieux appréhender les bénéfices, les subtilités et les limites de la médiation familiale dans les contextes de vulnérabilité. Qu’elles soient ici chaleureusement remerciées pour leur contribution.
* Présentation des structures :
Impulsion 54 : association loi 1901 créée en 2013 composée de 4 services dont le service de médiation familiale conventionnée. Elle propose des médiations familiales dans toute situation qui concerne la famille et dans un contexte de vulnérabilité ainsi qu’autour des aidants-aidés dans le cadre de son partenariat avec l’UDAF 54, une expérimentation CNSA.
🐶 Une particularité du service : Mayotte, chien médiateur formée à la reconnaissance des émotions chez l’humain, accompagne la médiatrice familiale dans l’espace de médiation familiale. (pas de médiations institutionnelles).
Centre de la Famille et de la Médiation : association lyonnaise loi 1901 d’intérêt général, qui regroupe 8 médiatrices familiales diplômées d’État et propose de la médiation familiale dans toutes les situations qui concernent la famille et des médiations un peu plus larges entre les familles et les institutions, dans les contextes de vulnérabilité.