La tribune

Par , Président de la fondation AUTONOMIA

Bien vieillir ou vivre pleinement ? Quand l’expérience des personnes âgées en éco lieux change le regard sur l’autonomie !

Retour sur l’étude MADoPA « Éco lieux et habitats participatifs l’expérience des personnes âgées », des enseignements qui bousculent les idées reçues

Qu’est-ce que la vie dans les éco-lieux et habitats participatifs peut enseigner dès lors qu’on s’intéresse aux motivations des personnes âgées de 50 ans et plus ? Quels enseignements peut-on en tirer concernant leur vie quotidienne et les modes d’organisation définis par ce type de collectifs ?

C’est sur ce postulat de départ que l’association MADOPA – living lab qui intervient en France et en Europe (cocréations, expérimentations, évaluations, de services et de technologies) et qui travaille également sur des sujets spécifiques avec comme fil d’Ariane « les dynamiques de vie des personnes au niveau individuel et collectif » – qu’une étude ciblée sur la vie des personnes âgées dans les éco-lieux et habitats participatifs, a été lancée.

Objectif ? Apprendre de leurs modes de vie, observer sans chercher à influencer, à régler des problèmes, puis en tirer des enseignements inspirants.

Cette étude soutenue par la Fondation AUTONOMIA (dans le cadre de son programme un « Habitat pour des liens »), la Fondation MUTAC et KLESIA s’est déroulée sur 2 ans (2023/2024) auprès de 82 personnes (entre 40 ans et 90 ans/dont 76 de plus de 50 ans) au cœur de 18 éco-lieux et habitats participatifs différents (ruraux et citadins). Elle a en effet permis de synthétiser 3 grands enseignements qui pourraient se faire source d’inspiration pour les politiques destinées aux personnes âgées. Hervé Michel, directeur de l’association MADoPA nous apporte des éclairages utiles sur les objectifs et les ambitions qui l’ont guidé avec son équipe (Raphaël Koster et Zoé Grange – docteurs en socio-anthropologie), et sur ces expériences de vies tangibles, qui invitent à changer nos croyances et regards sur la notion même du vieillissement, et du vivre pleinement, pour ces personnes au cœur de ces modèles de coopération.

Ambitions d’une étude basée sur l’expérimentation des personnes âgées

Voici une étude patiente et transparente qui pose dès le départ une intention de neutralité et d’observation d’expérimentations : observer concrètement ce qui se passe pour les seniors dans ces éco-lieux, la façon même dont ils vivent, cela signifie s’intéresser aux dynamiques de vie des individus et en saisir avec plus de clarté, la façon dont ils ont décidé de s’organiser par eux-mêmes durant cette période qualifiée de vieillesse.

« Nous sommes partis à la rencontre de personnes qui ont choisi volontairement de s’auto-organiser, qui ont des idées et ont décidé de les mettre en œuvre. Nos objectifs : comprendre avec finesse les motivations, les modes de vie des personnes âgées dans ces collectifs issus d’initiatives spontanées. Puis en tirer les enseignements et les conséquences pour les politiques du bien-vieillir au sens large du terme : politiques d’habitat (ces collectifs sont-ils des lieux de vie durables, transitoires … ?), politiques intergénérationnelles (légion de recettes pour le bien-vieillir sont prônées, mais en réalité que se passe-t-il vraiment dans ces lieux d’habitats participatifs qui suivent un modèle de coopération ? Que peut-on apprendre sur l’aspect intergénérationnel, le parcours résidentiel, le bien vieillir…). Nos idées de départ se sont affinées dans les recommandations au fil des rencontres et des partages », souligne Hervé Michel.

Ni sondage, ni questionnaire, une immersion en présence et dans la réalité des personnes âgées, au cœur des éco-lieux. L’autre intention de cette étude : consacrer du temps de qualité et répété avec l’ensemble des 82 personnes suivies.

« Pour prendre le temps de les rencontrer, de comprendre leurs vies, trois passages ont été nécessaires durant lesquels nous sommes restés plus ou moins longtemps (3, 4 jours parfois), pour échanger, écouter, comprendre, partager, expérimenter, sentir, vivre avec eux, participer à des activités et même dormir sur place ».

3 grands enseignements pour les politiques de prévention de la perte d’autonomie et du bien-vieillir

La compréhension de ce qui se passe dans ces éco-lieux et habitats participatifs pourrait-elle contribuer à la revitalisation, ou tout du moins à l’introduction de davantage de dynamique de vie dans les établissements, les institutions, qui accueillent les personnes âgées ? Met-elle en lumière que d’autres solutions existent pour ne plus subir sa vieillesse, mais s’en saisir, pour la vivre pleinement en pensées, décisions, actions ? Voici des questions fondamentales qui émergent de l’ensemble de la matière récoltée durant ces deux années d’étude, et que MADoPA a retranscrit dans une note de synthèse (lien vers la note ?).

Hervé Michel le souligne par ces constats réalisés « 3 grands enseignements sont intéressants à retenir et peuvent participer à changer nos regards et nos idées reçues autour du vieillissement et de l’autonomie des personnes âgées ».

1. Le vieillissement peut être abordé autrement, quand la vie devient mouvement !

« On vieillit, mais on est vivant, on est bien vivant »,

voici une affirmation qui parle d’elle-même partagée par l’une des personnes âgées suivies durant ces deux années d’étude. Ce qui est mis ici en perspective, c’est cette volonté de vivre sa vieillesse autrement, sans se préserver de la vie, sans se questionner continuellement sur les problèmes potentiels et sans les mettre au premier plan. Ces personnes sont davantage dans une démarche de vivre pleinement, plutôt que de bien-vivre.

Le vieillissement n’est pas abordé ici comme une source et une accumulation de problèmes à gérer et à anticiper, mais comme une continuité, une poursuite de la vie avec de multiples possibilités d’accomplissements. Les seniors concernés prennent leurs responsabilités et sont acteurs de leur existence. Depuis dix ans, MADoPA travaille sur les formes de vitalité, les dynamiques de vie individuelles et collectives des personnes âgées qui ont un impact réel sur la santé.

« Nous avons rencontré des personnes qui souhaitent mener leur vie comme elles l’entendent et s’investir dans différents projets de vie collective qui répondent à leurs aspirations. Elles s’autoorganisent, apportent leurs propres valeurs, se sentent utiles, et le sont, dans un mode d’habitat qu’elles ont choisi. Pour elles, le vieillissement est bel et bien une continuité de la vie, elles le disent : ‘mieux vaut mourir usé que rouillé».

2. Un esprit de solidarité, mais porté par une notion centrale d’équité dans le collectif

Hervé Michel le précise également :

« Dans ces écolieux, ce qui est intéressant à retenir également c’est cette notion d’équité envers les personnes âgées. Elles sont traitées de la même façon que les plus jeunes. Ce qui met tout le monde sur la même ligne, chacun peut se sentir vivant de la même façon. Chacun se prend en charge, chacun est interdépendant, mais avec une notion de responsabilité individuelle et collective, la solidarité est présente en fil d’Ariane. Chacun est coacteur et co-responsable du bon fonctionnement du lieu où il vit. »

Cette notion de souveraineté individuelle ne les met pas pour autant en posture de toute-puissance. Ces personnes âgées évoluent au sein d’un collectif et ils en tiennent compte. Une approche qui renvoie à la question du partage des valeurs initiales de chaque projet.

3. Prendre sa place et prendre son temps, quand l’utilité nourrit le lien à soi et aux autres

Les écolieux étudiés permettent aux personnes âgées de ralentir, de prendre leur temps, mais elles l’affirment pour autant avec certitude, ce n’est pas parce qu’elles ralentissent qu’elles n’ont pas de rôle à jouer, quel qu’il soit. Elles restent présentes dans une dynamique vertueuse et positive individuelle et collective :

« On est utile, et on est vivant ! »

Ces collectifs fonctionnent sur une gouvernance partagée où il y a un minimum de choses qui se décident ensemble, où la vie communautaire est très importante et amène chacun à sortir de chez soi, à aller à la rencontre de l’autre, à participer à la gestion minima du collectif. « Les liens se créent, les activités se déroulent sur site, des gens de l’extérieur sont accueillis. Le mouvement vital ne cesse jamais, les personnes âgées, même en vieillissant, restent en contact avec la vie, avec les autres », ajoute Hervé Michel.

En synthèse :
Le regard sur le vieillissement s’élargit : il intègre des dimensions de vie, de vitalité, de sens et d’engagement. Le vieillissement, partie indissociable de la vie, n’est pas (plus) appréhendé de la même façon. « Évidemment on vieillit, mais on est vivant, même bien vivant ! » rappelle un membre de la coopérative des habitants les Boboyakas.

La vie reste mouvement : ce mode d’habitats participatif permet aux personnes âgées de révéler pleinement leur capacité d’être, de penser, d’agir. Ils évoluent dans un environnement qui les encourage à partager leurs valeurs ajoutées individuelles au collectif. Cela stimule leur pouvoir d’agir, change le regard qu’elles portent sur elles-mêmes et qui leur est porté, change leur place (qu’elles s’accordent et qui leur est accordée), ce qui leur permet aussi de se (re)connecter à leur propre valeur (au-delà d’un statut d’aidé).

L’autonomie est repensée non comme une absence de dépendance, mais comme une capacité à décider et agir dans la conscience de l’interdépendance, au cœur d’un cadre collectif bienveillant et soutenant.

D’autres enseignements nouveaux pour les politiques ?

Un levier de déstigmatisation de la vieillesse

Au-delà d’une vision positive qui prône la non-déstigmatisation du vieillissement, cette étude montre par l’observation des expériences vécues et le suivi de la vie de ces personnes, que d’autres trajectoires de vie, quand on vieillit, sont possibles. Et que par elles, il est possible de vivre, de vivre pleinement et de vivre enfin ! … Même si ce n’est pas idyllique, parfait et toujours fluide, c’est possible. C’est tangible, il s’agit de vraies expériences qui déstigmatisent le champ de vieillissement.

« Là, ce n’est pas comment on fait, c’est ils le font. On n’est pas simplement en présence d’idées, mais d’expériences qui montrent qu’il est possible de vieillir autrement et ailleurs qu’à domicile, en résidence ou en EHPAD. Pour ceux qui le souhaitent ; il est possible de créer ou rejoindre des écolieux même s’il est important de préciser qu’ils ne sont pas faits pour tout le monde, car il faut avoir un minimum d’élan pour vivre ensemble, pour vivre pleinement dans ces nouveaux habitats participatifs. »

Le bien-vivre et la prévention de la perte d’autonomie

Ces écolieux font naturellement de la prévention à la perte d’autonomie. Si l’on pointe les différents piliers liés à cette prévention, on peut citer notamment : l’activité physique, l’activité cognitive, l’activité sociale, le rôle des aidants… Un ensemble de leviers qui se retrouvent naturellement dans les éco lieux. Ils ne les mettent pas en pratique dans une perspective de créer du bien-être, mais parce qu’ils ont décidé de vivre leur vie en fonction de leurs aspirations.

« Si on veut faire du bien-vieillir, c’est peut-être moins en donnant les recettes aux gens, qu’en leur donnant les moyens de réaliser ce qui donne du sens à leur existence : la liberté d’être, de choix, et derrière, la responsabilité individuelle au cœur du collectif. Elles vont être créatives et prendre en main leurs réalités, finalement. C’est toute cette dimension-là qui est intéressante : l’apport de ce modèle d’auto-organisation au vivre autrement, au vivre pleinement sa vieillesse », conclut Hervé Michel.

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